Ce vendredi 23 novembre 2007, Gilles Farcet a donné une conférence à Bruxelles à ce sujet.
Nourri de 30 années de recherches et de rencontres, 25 ans de pratique et d’engagement
sur la voie de Swami Prajnanpad et d’Arnaud Desjardins
dont il a été le collaborateur pendant 12 ans à l’ashram d’Hauteville,
Gilles Farcet est aussi l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages
et sa conférence avait pour but de dénoncer les méfaits de l’idéal spirituel
qui parasitent notre recherche de sens par-delà l’absurde, notre désir de paix par-delà les conflits,
notre désir de sécurité par delà les peurs, notre désir d’amour.
Le fondement de la recherche spirituelle repose sur le fait que l’homme
est en conflit avec lui-même
et ce dès son plus jeune âge.
A la naissance de sa petite sœur, un enfant va ressentir de la jalousie, voire de l’agressivité :
sentiments tout à fait normaux puisqu’il doit désormais partager avec sa petite soeur
l’amour que ses parents lui portaient exclusivement.
Et il va recevoir de ses parents le message : « tu ne devrais pas être jaloux ».
Donc il va se dire : ce que je sens, je ne devrais pas le sentir.
Et c’est là que débute la première division, la première fracture dans la relation à soi-même
et dans la relation à l’humain : je ne peux pas être en paix avec ce que je suis.
Il y a donc une confusion entre ce que je suis et ce que je ressens, entre l’être et le ressenti
et de là, on s’identifie à notre ressenti et on se dit : je suis jaloux, je suis agressif,
alors que le ressenti a lieu dans l’instant et est impermanent et n’a rien avoir avec ce que l’on est.
La deuxième confusion provient de la nécessité d’adapter notre comportement à la vie en famille, en société.
Cette tentative se fait sur base d’un conflit avec le ressenti.
Plus nous essayons de maîtriser un ressenti, plus il va devenir puissant.
La solution serait d’accueillir ce ressenti au lieu de le rejeter :
le voir comme quelque chose de naturel (l’expression de la chimie humaine),
comme quelque chose qui ne nous appartient pas en particulier.
Le seul moyen de moduler un ressenti est d’être en paix avec la vérité du ressenti.
Notre ego est fondé sur l’ensemble de ces messages contradictoires que nous avons perçus, étant enfant.
Et à l’âge adulte, cela va engendrer des problèmes professionnels, de couple, etc…
Beaucoup de personnes entament alors une recherche spirituelle pensant que cela va leur permettre
d’être quelqu’un d’autre que ce qu’elles sont.
Notre image de la sagesse, de la spiritualité, de l’éveil est alimentée par des figures telles que le Christ,
les Saints, ou des figures plus exotiques comme les Maîtres spirituels qui sont des présences très fortes
car ces personnes irradient quelque chose (telles des centrales nucléaires) et
vouloir s’identifier à ces personnes peut conduire à beaucoup de malentendus.
Pour nous, produits de la société, il n’y a en effet aucune possibilité de vivre ce qui est possible
dans un contexte complètement différent du nôtre :
dans la vie du moine, tout est centré sur la Présence du Maître.
Nous pouvons être touchés, bouleversés par la Présence d’un Maître,
mais cela ne doit pas constituer une voie au risque de se retrouver dans une impasse dévotionnelle :
99 % des gens vont développer une relation infantile avec le Maître qui est le modèle de la perfection
comme l’étaient les parents pour le petit enfant.
Un autre danger du décalage entre l’idéal et la réalité réside dans l’image que véhicule et
que nous nous faisons du Sage :
quelqu’un qui pratique l’ascèse, qui n’a plus aucun désir, qui est détaché de tout, et qui pour nous
représente l’idéal de la sagesse, du bonheur et de la paix.
Une sorte de robot, toujours heureux…
En réalité, le Sage est un humain qui fonctionne comme nous,
qui est soumis aux mêmes sentiments mais qui est « éveillé ».
Et être « éveillé » ne signifie pas que tout est simple et qu’ils fonctionnent comme des machines
avec un électroencéphalogramme plat; cela veut dire qu’ils ont connu une maturation profonde
leur permettant de ne plus être menés par leurs comportements égocentriques.
Ils connaissent aussi la souffrance mais ils l’accueillent comme le ressenti de la vérité
qui laisse de la disponibilité pour d’autres choses.
Seule une partie d’eux-mêmes est atteinte et non tout leur être.
Le Sage est donc quelqu’un qui s’est libéré d’une certaine mécanicité
et nous risquons de le voir comme autre chose qu’un être humain.
Trop occulter son humanité risque de nous décevoir le jour où nous nous rendrons compte
qu’il est un humain comme nous.
Un vrai Maître spirituel va nous encourager à trouver par nous-mêmes
la voie de la libération, la Vérité, la Paix
et non à croire à ce qu’il dit.
Un être « éveillé » n’est pas quelqu’un qui tout à coup a connu l’ « éveil » ;
bien sûr cela peut arriver n’importe où, à n’importe qui mais c’est un état impermanent.
Ce n’est pas un état qu’on possède une fois pour toutes.
C’est une relation à ce qui est dans l’instant qui ne demande qu’à se renouveler dans l’instant suivant
et qui a besoin d’être intégrée dans la réalité.
Un être « éveillé » se distingue d’un être pseudo éveillé par le fait qu’il incarne
les valeurs de bonté, générosité, compassion, attention à l’autre
dans sa vie quotidienne
et qu’il évite les souffrances inutiles.
La recherche spirituelle est très vite récupérée par notre mental comme la fabrication d’un idéal,
ce qui nous éloigne de la réalité.
Si nous aspirons à la Paix, commençons par accueillir ce qui est.
La clé du chemin spirituel, de l’ « éveil » est la bienveillance et aussi
- s’exercer à entrer en amitié avec soi-même,
sentir, comprendre, s’ouvrir à une attitude libératrice
- accepter que ce que je ressens ne m’appartient pas,
n’est pas à moi mais à l’humain en général, c’est la manifestation du Un et du Tout
- entrer en relation d’amitié, de compassion et de communion avec l’autre
- arriver à la maturation de cette conscience de la non séparation
( avec soi-même et avec les autres)
- abandonner l’idéal : « je ne dois pas ressentir ce que je ressens »
(qui m’empêche d’être en paix avec ce que je suis)
pour aller vers ce point de visée :
accueillir mon ressenti et avoir le désir de ne pas manifester ma colère,
ma violence, etc…(qui ne sont que des aspects de moi et qui ne sont pas moi)
et devenir plus conscient de mes actes.
- arriver à ce niveau d’ETRE
qui est l’accomplissement du potentiel de l’être humain
Rechercher la Paix, le détachement, comme nous l’enseignent les Maîtres spirituels,
pour ne plus souffrir est un leurre.
La souffrance existera toujours mais nous pouvons arriver, par un travail sur nous-mêmes,
à nous libérer de l’aspect égocentrique de la souffrance pour laisser de la place pour autre chose.
S'engager sur un chemin spirituel ne doit pas relever d'un idéal
mais d'un choix conscient.
Il y a des trésors immenses à découvrir dans ce travail.
Celui qui est riche intérieurement saura toujours faire face
aux défis et aux épreuves
qu'il rencontrera sur son chemin.
"Sur le chemin spirituel, il ne faut rien chercher qui serait extraordinaire.
L'extraordinaire est dans la profondeur de l'ordinaire"
K.G. Dürckheim
Aurore
article rédigé sur base de notes prises à la conférence